Le vocabulaire de la naissance, ou la prise de conscience du malaise

Je démarre la rédaction de mon blog avec un sujet qui m’était strictement inconnu il y a encore quelques mois. Ou du moins, invisible. J’avais eu déjà deux enfants, et j’étais convaincue qu’ici en France, nous avons de la chance d’avoir autant de technologie, de médicalisation, de médecine, qui entoure le processus de la naissance. Que la sécurité était à son maximum, et par là-même le bien-être des mamans et des bébés.

Mes deux grossesses, et mes accouchements, je les voyais comme ayant été « normaux ». Mais, de quelle norme parle-t-on? Dans quel inconscient collectif étais-je conditionnée pour admettre que tout était « normal »?

Il m’aura fallu du temps, des informations claires, de la lecture, et une grosse remise en question, pour me rendre compte que non, ma vision de la naissance n’était pas juste. Que j’avais tout simplement été dépossédée de mes capacités de femme à enfanter comme des milliards de femmes l’ont fait avant moi. Que j’avais intégré que la médecine est indispensable au bon déroulement de toute naissance. Seule, je n’étais pas CAPABLE. En me penchant sur le « pourquoi », j’ai envie de mettre en lumière comment notre société nous amène à devenir dépendants de l’autorité (médicale, commerciale) simplement à travers les mots. Décortiquons quelques termes courants utilisés autour de la naissance ! 

Tomber enceinte : Non, pour concevoir une grossesse il ne suffit pas de « tomber ». Qu’elle soit désirée ou non, une grossesse est toujours un processus, un chamboulement. Pourquoi employer un mot aussi … tiré vers le bas, pour qualifier le début d’une vie ?

 Fausse couche : Je pourrais dire ce mot comme je prononcerais le nom d’un objet. « Elle a fait une fausse couche » > « Elle a fait un gâteau ». « Fausse » comme si l’événement en question était irréel, ou un mensonge ? « Faire » une fausse couche, comme si c’était un acte volontaire? N’oublions pas, que derrière une « fausse couche », il y a une femme, un couple, qui a mis tous ses espoirs, ses joies, ses pensées vers la création d’une vie. Que cette femme, ce couple, a tout perdu à l’instant du départ.  Faux travail : ce terme est communément employé pour décrire un épisode de contractions lors du 9ème mois de grossesse, qui ne modifie pas significativement le col pour déclencher l’accouchement. A votre avis, que peut ressentir une femme pleine de douleurs, voire épuisée, à qui l’ont dit après examen « vous faites un faux travail, vous pouvez rentrer chez vous !  » ? Tout comme « fausse couche », je trouve ce terme un poil culpabilisant et infantilisant, comme si la femme n’était pas capable de ressentir ce qu’est une contraction efficace. Bon bien sûr, cela dépend beaucoup de la manière dont c’est expliqué à la future maman.N’est-il pas plus juste, et surtout plus aidant, de parler d’une préparation du corps face au séisme qui l’attend ? Qu’il est parfois difficile, voire impossible de prédire si ces contractions sont efficaces, car le corps a besoin d’un temps très variable d’une femme à l’autre et d’une naissance à l’autre pour se préparer. Chaque contraction est utile et efficace au cours de ce mois. Si elle n’est pas encore efficace pour modifier le col de l’utérus, elle est efficace pour se familiariser à la sensation de l’enfantement; efficace pour « entraîner » le corps à donner la vie. Et ça, c’est un VRAI travail. Accoucher : Si aujourd’hui, « accoucher » veut dire « mettre au monde », le sens ancien de ce mot signifie « se coucher », « se mettre au lit ». Et c’est clairement la position allongée qui est communément admise pour donner naissance en Occident. Mais cette position couchée n’est pas naturelle, car elle ne fait ni appel à la mobilisation, ni à la gravité (tout ce dont une femme a besoin pour enfanter… pour mieux comprendre, je vous invite à regarder cette super BD !). J’ajoute que le sens figuré de « se coucher » implique la soumission. Or une femme qui donne la vie a besoin qu’on lui fasse confiance en tant que créatrice suprême. Fœtus : « Produit de la reproduction, à partir du troisième mois de grossesse et avant la naissance » (définition la plus répandue sur le net). Lors de ma formation d’Accompagnante Périnatale, j’ai choisi de proposer le thème du fœtus pour mon mémoire de fin de formation. Tout de suite, je me suis interrogée : pourquoi ce mot me paraît … inadéquat ? ça rime avec « radius », « cubitus », « cumulus »… Nous avons conservé le terme latin quasiment tel quel, comme pour mettre une distance entre la réalité humaine en création, tout l’affect qui entre en jeu lors de la grossesse, et le vocabulaire qu’on choisit d’appliquer. Par peur de l’avenir ? Des émotions ? De notre manque de connaissances et de maîtrise face à la vie qui se prépare, en dépit de la toute-puissance scientifique ?D’autres professionnels, comme Jean-Paul Fluteau, ne sont pas insensibles à ce décalage et préfèrent s’approprier un terme plus doux, plus humain, comme « bébé fœtus »… Ouf ! Mobile fœtal : les gynécologues-obstétriciens, lors de leurs études, apprennent ceci : »Lors d’un accouchement, trois éléments interviennent :- la filière pelvienne qui va être un «  canal de passage »,- l’utérus : contenant avec un rôle moteur,- l’élément mobile ou le « mobile fœtal » qu’est le fœtus.  » (source : http://campus.cerimes.fr/maieutique/UE-obstetrique/mobilefoetal/site/html/1.html ).Aucune trace de « femme », « mère », « bébé », « enfant ». Il ne s’agirait donc que d’une histoire entre un organe, un passage et un objet éjecté. Même le terme « fœtus », que je cite plus haut, n’est pas cité tel quel ; on lui ajoute le terme « mobile » car (je cite) « le fœtus relié au placenta par son cordon est relativement mobile dans la cavité utérine ». Ah bon, il bouge ?! Etonnant ! Comme s’il s’agissait d’êtres vivants ! »Mobile », ça m’inspire encore une fois une véritable chosification du processus de la naissance. Et en fait je trouve cela grave, car c’est quand même la plus belle chose que tout un chacun est capable de faire dans sa vie ! Je pourrais encore étendre le florilège mais l’idée est de comprendre où nous en sommes. Alors certes, c’est une chance d’avoir accès à la médecine lorsqu’un problème survient ! Mais lorsque la naissance est protocolisée, aseptisée, systématisée, normalisée, sur-surveillée, suspectée… Que les mots rattachés à l’acte de « donner la vie » impliquent un risque, une connotation objective voire négative, peut-on parler d’une vision juste face à la Création ? Quelles peuvent être les conséquences sur les familles ?